Sénégal : est-ce un simple référendum ?


MACKY

 

Certains amis et lecteurs de mon blog m’ont invité à donner mon point de vue sur le référendum du 20 mars 2016. J’ai écouté les arguments des deux camps qui s’opposent actuellement à travers diverses stratégies. La classe politique sénégalaise a cette faculté de plonger le pays dans une campagne électorale permanente. Le référendum a des allures d’élection présidentielle avec une agitation politique indescriptible.

La décision du président Macky Sall de poursuivre son mandat jusqu’en 2019 cristallise tous les débats. Pour rappel, ce dernier entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2012 avait pris l’engagement de réduire le mandat en ramenant le quinquennat et de se l’appliquer en cas de victoire. Il faut également rappeler le contexte dans lequel cet engagement avait été pris et séduit bon nombres d’électeurs. Le président Wade martelait qu’il lui fallait 3 ans pour finir ses chantiers.

Le candidat Moustapha Niasse parlait d’un mandat unique de 5 ans. D’autres hommes politiques soulevèrent la proposition d’un mandat de transition. C’est dans cette surenchère d’annonces que le candidat Macky Sall prit l’engagement de restaurer le quinquennat. Cet engagement a été réitéré dans les premières heures de l’alternance au Sénégal et dans de nombreuses rencontres dans le monde.

« Le référendum a des allures d’élection présidentielle avec une agitation politique indescriptible ».

La volonté de rupture a été clairement exprimée et la nécessité de placer le Sénégal sur les rails du développement semblait animer le nouveau président. Quatre ans après, que s’est il passé pour qu’il prenne le risque politique de se détourner de son engagement. Je ne vais pas aborder ici le débat juridique qui à mon sens n’est pas pertinent dans le contexte. Les plus éminents juristes du Sénégal ont renvoyé à ses contradictions le « juriste du président ».

Il faudra également que l’on s’interroge un jour sur le droit constitutionnel sénégalais et  la capacité de certains juristes de défendre des positions en fonction de l’intérêt du moment. La précipitation du camp présidentiel à organiser le référendum est également incompréhensible. La sérénité devrait regagner l’entourage du président dont les ministres et conseillers sont tous devenus des « constitutionnalistes ».

Il faudra également que l’on s’interroge un jour sur le droit constitutionnel sénégalais et  la capacité de certains juristes de défendre des positions en fonction de l’intérêt du moment.

L’élément qui me parait le plus essentiel dans cette décision du président est le non respect de l’engagement pris en 2012. Le respect de la parole donnée est une valeur africaine, dans certaines régions il est plus important que l’écrit. Nos sociétés sont marquées par sa sacralité à plus forte raison lorsqu’elle émane du dirigeant. Le fameux reniement du Président Wade a davantage décrédibilisé la parole politique. Une atmosphère de défiance entoure constamment les déclarations des hommes politiques. Dans la rupture prônait par le président Sall, les termes de vertu et d’éthique sont souvent revenus. Le contexte dans lequel il prend cette décision ne peut pas être détaché de tous ses discours sur les valeurs.

L’impression que l’on peut avoir de ce changement intervenu dans le discours du président est l’éternel « petit calcul politique ». A mon avis il y’ a un élément que les hommes politiques n’intègrent pas suffisamment dans leurs rapports au pouvoir. Il s’agit du facteur temps notamment la rapidité du mandat et la réalisation des  nombreux d’engagements pris durant la campagne électorale. Ils donnent souvent le sentiment de pouvoir tout régler durant un mandat avec des programmes qui n’ont aucune emprise sur le réel. Il est dommage que la décision du président intervienne après 4 ans d’exercice du pouvoir. La séquence temporelle dans laquelle s’inscrit cette annonce ne peut laisser personne indifférente.

Le respect de la parole donnée est une valeur africaine, dans certaines régions il est plus important que l’écrit.

On a l’habitude de dire que tout président nouvellement élu jouit d’une période de grâce. Durant cette période, les populations qui l’ont élu sont plus conciliantes. Sans doute, il aurait fallu évacuer la question de la durée du mandat durant cette séquence. Mais durant de nombreux mois le président n’a eu de cesse de réaffirmer son intention de réduire son mandat. En se donnant deux ans de plus, le  président aura à cœur d’inclure dans son bilan les projets en cours.

On est toujours dans cette posture qui consiste à vouloir régler toutes les questions dans une séquence temporelle très courte. Cela pousse évidemment les autorités en place à agir de manière imprévisible et à s’accorder toutes les chances pour obtenir un second mandat. En définitif, le diktat ou la pression du second mandat pousse à la faute de nombreux dirigeants qui s’enferment dans des calculs et s’adonnent à de la « politique politicienne ».

En se donnant deux ans de plus, le  président aura à cœur d’inclure dans son bilan les projets en cours. On est toujours dans cette posture qui consiste à vouloir régler toutes les questions dans une séquence temporelle très courte.

Le citoyen sénégalais est choqué de voir à chaque changement le président s’entourer des personnes qui l’ont jadis combattu. Ce que l’on appelle communément « transhumance » au Sénégal est une pratique qui a la dent dure malgré le perpétuel discours de rupture. Ou est la rupture lorsqu’on observe que des figures marquantes de l’ancien pouvoir rejoignent une à une la mouvance présidentielle et sont nommées à des postes importants. Mieux, aujourd’hui ils appellent à voter pour le  « oui » alors qu’ils étaient les partisans d’un retour au septennat en 2008 sous Wade.

Sans doute, seront ils recasés au Haut Conseil des Collectivités Locales, une institution budgétivore de plus.  La classe politique doit apprendre à respecter le peuple sénégalais. Le philosophe Emmanuel  Lévinas disait que « La politique doit pouvoir toujours être contrôlée et critiquée à partir de l’éthique ». Il semble que dans notre pays  l’éthique ne soit pas le principal marqueur de la classe politique.

« En se donnant deux ans de plus, le  président aura à cœur d’inclure dans son bilan les projets en cours. On est toujours dans cette posture qui consiste à vouloir régler toutes les questions dans une séquence temporelle très courte ».

Les conséquences de ce référendum seront nombreuses sur l’échiquier politique. Dans cette période de confrontation entre les partisans du « oui » et du  « non ». Les deux camps gagneraient à davantage expliquer aux populations les enjeux. Il est incontestable que le point le plus attendu de ce référendum fut la réduction du mandat présidentiel actuel. La déception de certains sénégalais est grande. Mais il faut reconnaître que certains points soumis au référendum peuvent constituer des avancées démocratiques.

Il est toujours bon de consolider une démocratie avec l’intégration de nouveaux droits. La question du « reniement » du président Sall pourra être réglée ultérieurement par les citoyens qui jugent qu’il a failli à sa parole. Le premier temps fort sera les élections législatives de 2017 en l’installant dans le système de la « cohabitation ». Le second temps fort est l’élection présidentielle de 2019, les populations auront la latitude de le pousser vers la sortie.

Les partisans du « non » favoriseraient le statut quo en cas de victoire avec une constitution qui restera inchangée. Non seulement le président Macky Sall poursuivra son mandat de sept ans mais le prochain président qui sera élu en fera de même. Le « non » expose à deux mandats successifs de sept ans, celui en cours et le prochain. Cela devra être bien expliqué au Sénégalais.  La volonté de vouloir sanctionner le président Sall à tous prix suffit-elle pour faire ce choix. Il est certain qu’un « Non » le délégitimerait et l’affaiblirait pour le reste de sa présidence.

« La cohabitation sera possible à l’avenir au Sénégal. La poursuite du mandat de 7 ans peut créer dans le temps cette situation inédite ».

La cohabitation sera possible à l’avenir au Sénégal. La poursuite du mandat de 7 ans peut créer dans le temps une situation inédite. Il est possible que le Sénégal connaisse des séquences de cohabitation. En 2017, nous aurons des élections législatives et si le président Sall venait à perdre cette élection, nous serons dans un cas de figure nouvelle. Le président sera obligé de composer avec une majorité nouvelle et le premier ministre issu de cette mouvance  sera à ce moment charger de définir la politique de la nation.  Habituellement et de façon mécanique lorsqu’il y’a concordance sur la durée des mandats entre celui présidentiel et législatif, le président dispose d’une majorité confortable pour dérouler son programme.

Dans le cas d’espèce, nous allons avoir des élections législatives qui ne vont plus coïncider avec celle présidentielle. C’est le système des élections à mi-mandat qu’installera cette nouvelle donne. Cette situation peut avoir un intérêt  remarquable pour le citoyen qui pourra sanctionner le président en place après quelques années de pouvoir en le cantonnant dans le rôle « d’inaugurer les chrysanthèmes« . Le président qui perdra la majorité aux élections législatives du fait du peuple sera affaibli jusqu’à la fin du mandat et n’aura plus d’emprise sur la politique menée au Sénégal. Le centre névralgique du pouvoir sera la primature.  Attendons le 20 mars pour connaitre l’issue de cette consultation et le choix des sénégalais.

Babacar NDIAYE, le 15 mars 2016

 

 

 

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