Quels préalables pour tirer profit du « dividende démographique » en Afrique ?


Quels préalables pour tirer profit du « dividende  démographique » en Afrique ?

L’Afrique est en train de subir de profonds changements démographiques, économiques, technologiques, politiques et environnementaux. Elle dispose de la ressource la plus importante : le milliard d’habitants qu’elle compte aujourd’hui et ses 600 millions de jeunes. La croissance économique des pays de l’Afrique est en moyenne de 4 %. Mais est-elle inclusive ? Les Africains récoltent-ils les fruits de cette croissance? Les projections nous indiquent que population va doubler d’ici 2050. La population  de l’Afrique va atteindre la barre des 2,3 milliards d’habitants et sera composée principalement de jeunes. D’ici 2040, le continent aura la main-d’œuvre la plus abondante au monde, devant la Chine et l’Inde.

Pour le continent et la région du Sahel, le plus grand atout ou alors le plus grand risque au cours des décennies à venir sera sa capacité à tirer profit ou non de ce réservoir de capital humain en croissance rapide. Pourtant, cette croissance continue associée à des taux de fécondité maîtrisée, représente une opportunité unique pour les économies des pays du continent. Une des principales causes de cette accélération démographique est l’allongement de la durée de vie moyenne conjuguée à une diminution de la mortalité infantile et juvénile. On observe l’effet inverse ailleurs, beaucoup de pays développés voient la part de leur population ralentir et surtout celle des jeunes décroître.

Le dividende démographique , un avantage comparatif pour l’Afrique

l’expression dividende démographique était peu connue il y a de cela quelques années. Elle était essentiellement utilisée par des démographes, les universitaires et autres experts qui travaillent sur l’évolution des populations. Le dividende démographique correspond à la croissance économique potentielle liée à l’évolution de la pyramide des âges d’une population, principalement lorsque la proportion de la population active est supérieure à celle des personnes n’étant pas ou plus en âge de travailler (14 ans et moins, 65 ans et plus).

Avec le dividende démographique, la croissance économique augmente parallèlement à l’accroissement de la population en âge de travailler au cours d’une transition démographique pendant laquelle, les taux de mortalité et de natalité baissent.

Il est important de considérer les jeunes comme des leviers de changements en Afrique. Cependant, pour tirer profit de ce dividende démographique, il faudra des préalables.

Lorsque dans un pays la main d’œuvre augmente plus rapidement que la population dite dépendante, cela offre des possibilités d’une croissance économique plus forte et d’un développement humain plus rapide. Elle se traduit par une réduction du nombre des personnes dépendantes (les plus jeunes et les plus âgés). Les pays du Sahel (Mali, Niger, Tchad) ont les taux de croissance démographique les plus élevés au monde, la population de ces pays doublera d’ici 2030. la démographie galopante constitue une véritable opportunité ou une bombe à retardement pour les pays du Sahel fortement fragilisés sur le plan économique, social et sécuritaire. Cette explosion démographique qui s’annonce doit être l’occasion d’opérer des changements dans la gouvernance de nos États.

Il est important de considérer les jeunes comme des leviers de changements en Afrique. Cependant, pour tirer profit de ce dividende démographique, il faudra des préalables. Des domaines stratégiques sont concernés par cette question essentielle. La gouvernance et les efforts qui seront effectués constitueront des indicateurs sur notre capacité à tirer profit de ce dividende démographique.

Bâtir un système de santé inclusif et efficace

Quelle sera notre capacité à mettre en place un système de santé performant au service des populations qui ne cessent d’augmenter ? Un investissement massif dans les infrastructures sanitaires et une bonne formation du personnel de santé sont des points cruciaux. Si la population augmente, une politique de santé doit prendre  en charge cette donne. Il faut combler les pénuries de personnels de santé entre les régions dans un même pays. Au Rwanda, la mortalité infantile a diminué de deux tiers entre 2005 et 2010, le pourcentage d’accouchements assistés par des personnels de santé qualifiés est passé de 39 % à 70 %.

La maîtrise de la fécondité ou de la régulation des naissances : une question épineuse

Certains économistes et démographes posent comme préalable que l’investissement dans l’accès universel aux moyens modernes de contraception et à la planification familiale est fondamental pour la réalisation du dividende démographique . Il faut noter que l’utilisation de la contraception en Afrique subsaharienne et au Sahel reste faible. Une transition vers une baisse de la fécondité nécessite une maîtrise de la taille de la famille.

Un pays comme le Niger est intéressant à observer car il est l’un des pays au monde qui connait  un développement rapide de sa population. En avril 2017, le président Ioussoufou tirait la sonnette d’alarme sur l’évolution démographique dans son pays. Il s’exprimait en ces termes sur la question « nous avons le devoir de procréer avec responsabilité, c’est-à-dire le devoir de faire des enfants que nous pouvons nourrir, éduquer et soigner. Notre pays a le taux de fécondité le plus élevé au monde. Plus grave, une enquête récente révèle que le nombre d’enfants désirés, aussi bien par les femmes que par les hommes, est supérieur au taux de fécondité ».

Un pays comme le Niger est intéressant à observer car il est l’un des pays au monde qui connait  un développement rapide de sa population.

En 2012 lors d’un recensement général, la population du Niger était estimée à 17 138 707 habitants. La population âgée de moins de 15 ans représentait 51,6 % de la population totale. Les projections démographiques indiquent qu’en 2025, la population du Niger atteindra 25 258 726 habitants et en 2050, 75 774 369 habitants. Avec 7,6 enfants par femme, le pays possède l’un des indices de fécondité les plus élevés au monde. Ces trente dernières années, le nombre d’habitants a triplé passant de 5 millions en 1977 à 17 millions en 2012. Aujourd’hui, 66% de la population nigérienne a moins de 25 ans.

De nombreux défis se posent pour le Niger notamment la mise en place d’une stratégie pour maitriser cette croissance démographique. De manière générale au Sahel, la faiblesse de l’utilisation de la contraception qui est conditionnée par le poids de la religion reste une préoccupation majeure.

L’éducation, le meilleur rempart pour profiter du dividende démographique

 Pour tirer parti du dividende démographique, il faut constituer une main-d’œuvre hautement qualifiée qui sera présente dans tous les secteurs d’activités. Cela passe par un enseignement de qualité qui commence dès le plus jeune age. Au Rwanda, de très importants investissements ont été consentis dans le secteur de l’éducation et, en moins de vingt ans, le taux de scolarisation dans l’enseignement secondaire est passé de 15 à 94 %.

De manière générale, la scolarisation des enfants au primaire a fortement progressé ces dernières années dans les pays de l’Afrique Subsaharienne et du Sahel, pour dépasser 76 % mais les taux de scolarisation sont plus faibles dans le secondaire (40 % en 2010) et le supérieur (7 % en 2010). Cela reste un problème. Il faut combler les pénuries d’enseignants et veiller à leur formation continue qui est une nécessité pour une éducation de qualité. Le manque d’enseignants bien formés est un réel problème dans certains pays du Sahel et surtout dans les régions les plus reculées (Niger et Mali).

La qualité des enseignements dans les écoles publiques et la qualité voire la motivation des instituteurs est un vrai enjeu. Il ne faut pas miser que sur le critère quantitatif (nombre d’écoles construites) et ignorer l’aspect qualitatif. la formation des professeurs sur le long terme est une exigence pour accompagner cette augmentation démographique. D’ici 2030, il faudra recruter en Afrique 1,3 millions d’enseignants supplémentaires pour assurer un meilleur accès à l’éducation.

Il ne faut pas miser que sur le critère quantitatif (nombre d’écoles construites) et ignorer l’aspect qualitatif.

Pour tirer parti de ce boom démographique , il faut constituer une main-d’œuvre hautement qualifiée, il est nécessaire d’augmenter substantiellement le nombre de diplômés de l’enseignement secondaire notamment les formations techniques et professionnels. À défaut, si le système éducatif ne peut absorber et former correctement des cohortes de jeunes en âge de scolarisation et si le marché du travail, formel et informel, n’est pas assez large pour proposer des emplois et des salaires correspondants à leur niveau de formation, les risques d’instabilités sont grandes . il faut des investissements à grand impact dans le secteur de l’éducation et donner plus de poids aux filières scientifiques et technologiques. Le dynamisme du secteur privé sera un enjeu majeur pour créer des emplois, produire et créer de la richesse.

Asseoir des économies qui favorisent une création massive d’emplois pour les jeunes

La question de l’emploi des jeunes est le principal défi pour les années à venir . Il y a un énorme décalage entre les compétences produites par le système éducatif de nos pays et les besoins sur le marché du travail. Il appartient aux Etats d’avoir la capacité de créer des emplois décents accessibles tant aux femmes qu’aux hommes en privilégiant des secteurs économiques porteurs (agriculture). Le secteur privé doit être imaginatif et créatif pour absorber ces jeunes qui arrivent sur le marché de l’emploi et contribuer à la mise en place de véritables industries.

La prédominance du secteur informel dans nos Etats soulève la question des leviers à mettre en place pour initier un basculement à grande échelle vers le secteur formel. Un secteur informel en pleine croissance, et une plus petite proportion de travailleurs salariés est révélateur de l’organisation du travail dans nos pays. Les gains économiques potentiels peuvent être très importants, si les politiques appropriées sont mises en œuvre et si des investissements conséquents et stratégiques dans le capital humain sont consentis, en particulier au profit des jeunes.

Au Mali, la population devrait passer de 15,2 millions d’habitants à 30 millions en 2030. La tranche d’age de moins de 15 ans représente la moitié de la population actuelle. Un nombre élevé de jeunes arrivera sur le marché du travail malien et les projections indiquent que 300 000 demandeurs d’emploi supplémentaires par an arriveront en 2030.

La nécessité d’une bonne gouvernance pour relever le défi démographique

La demande d’une meilleure gouvernance dans la plupart des pays africains est sans cesse affirmée. La question liée à la transparence dans la gestion des affaires publiques et l’obligation de rendre compte se posent avec acuité. La mauvaise gouvernance financière constitue une grave entrave au développement du continent africain. Il est heureux de constater que de plus en plus des mouvements de jeunes revendiquent une meilleure gouvernance, une meilleure gestion de l’argent public et donc moins de corruption et plus d’inclusion sociale. La corruption engendre sur le continent des dégâts dans le secteur public en éloignant l’investissement public des secteurs prioritaires pour le diriger vers des intérêts personnels.

Pour profiter du dividende démographique, il nous faut asseoir une véritable gouvernance dans nos Etats. La bonne gouvernance doit être au-delà du slogan une réalité du quotidien. Le rôle des sociétés civiles africaines et des jeunes est de travailler à l’ancrage d’une bonne gouvernance.

Pas moins de 1 300 milliards de dollars sont sortis illégalement d’Afrique au cours des trente dernières années, d’après un rapport de Global Financial Integrity (GFI), une organisation de défense des droits qui surveille les flux financiers illégaux. Le montant global de pots-de-vin payés est estimé à 118,44 milliards de Francs CFA durant les 12 derniers mois selon une étude conjointe du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et de l’ Office national de lutte contre la fraude et la corruption (OFNAC) sur la perception et le coût de la corruption au Sénégal en 2017.

La prédominance du secteur informel dans nos Etats soulève la question des leviers à mettre en place pour initier un basculement à grande échelle vers le secteur formel.

Pour profiter du dividende démographique, il nous faut asseoir une véritable gouvernance dans nos Etats. La bonne gouvernance doit être au-delà du slogan une réalité du quotidien. Le rôle des sociétés civiles africaines et des jeunes est de travailler à l’ancrage d’une bonne gouvernance. Faute d’action résolue pour surmonter les problèmes liés à la mauvaise gouvernance , c’est des générations entières qui ne pourront pas saisir les opportunités de ce dividende démographique.

Le cas du Nigéria est édifiant sur la question du boom démographique, il nous interpelle sur les solutions à mettre en oeuvre pour faire face à cette dynamique. Ce pays de l’Afrique de l’Ouest compte aujourd’hui 193 millions d’habitants et approchera le milliard à la fin du siècle. Une prise de conscience et une véritable volonté politique pour affronter ce défi doivent être les seules préoccupations des autorités nigérianes pour les prochaines années. L’Afrique n’a pas d’autres choix que de profiter à bon escient de cette forte démographie pour connaitre les changements attendus et profiter de toutes les opportunités que cette situation lui confère.

Babacar Ndiaye, le 30 janvier 2018

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